Spontanément, sans aucune restriction, Chefs, A.C..T., C.P., acceptent le risque
d'un tel engagement et même les difficultés familiales inévitables. Pour la
Patrouille du Pélican commence une enivrante aventure.
Dès les premiers jours, afin de ne pas inquiéter les parents par l'heure tardive
des retours de missions, la patrouille s'installe complétement au Manoir, nom donné aux locaux scouts,9 rue drouin à Nancy. Chacun
à son tour y devient intendant-cuisinier. Le matin à 7 heures tout le monde
est debout. Ce début de journée rappelle le camp encore si proche et malgré
l'absence totale de rassemblements : dérouillage, toilette, petit déjeuner ne
trainent pas. Pour huit heures et demie, le chef est de retour avec des ordres
pour la journée. Dès ce moment, les uns rédigent le rapport de la veille; penchés
sur des carte d'Etat-major, ils notent soigneusement des coordonnées et, à onze
heures, ces précieuses feuilles seront acheminées par une inconnue ... portant
elle aussi la croix potencée fort discrétement.
Pendant ce temps, une mission est partie. Le travail ne manque jamais car le
secteur qui nous est confié est vaste (entre Villey-le-Sec et Saint Nicolas
du Port, et spécialement les nationales 4, 57, et 74) ... Un jour c'est l'état
d'une route bombardée la veille; un autre, c'est l'effectif d'un cantonnement
...
Avec le retour parfois tardif des différentes missions,
renaissent au Manoir la gaîté et le bruit.La veillée se prolonge parfois tard
dans la nuit car il faut déjà ébaucher le rapport, parfois même en envoyer d'urgence
certains renseignements !
Puis nouvelle transformation du manoir : les paillasses entassées dans un coin
s'alignent maintenant sur le plancher ... "merci de ce jour d'existence" ...
, et le silence se fait, déchiré souvent par des explosions encore lointaines.
Et puis, un jour, le son du canon se fait plus proche, les convois plus nombreux,
les ennemis plus hargneux. Barrages et rafles de bicyclette nous réduisent à
effectuer les missions à pied (trois bicyclettes du groupe furent prises).
Plus de temps à perdre car il faut, dans l'aprés-midi, couvrir trente à trente-cinq
kilométres, mais en échange, les missions se corsent souvent d'imprévus.
- Un aprés-midi, à travers champs, on s'approche d'une ferme isolée devant laquelle
des soldats creusent avec énergie. En passant à la hauteur d'un petit bois,
une salve de quatre obus de 88 part à moins de cent mètres de nous et souffle
sur nos têtes ... impression désagréable mais les coordonnées de ces pièces
-qui génent le passage de la Moselle- seront acquises avec précision et sans
beaucoup de mal. Il ne reste plus qu'à expliquer notre présence par une histoire
de ramassage de lait pour les dispensaires de Nancy, et le fermier, nous prenant
trés au sérieux, nous charge de courses pour les laitiers d'un pays voisin ...
une B.A. imprévue !
- Une mine de fer excita longtemps notre curiosité en raison de sa position
stratégique. Un jour enfin, une bonne Soeur de l'hospice voisin nous comprit
si bien qu'elle devint une précieuse auxiliaire contrôlant les allées et venues,
les arrivées de renforts, de batteries à la fameuse mine. - D'autres fois, c'est
en ville même qu'il faut recueillir des renseignements : à la suite d'un bombardement,
on s'introduisit dans une caserne; un autre jour, dans un camp d'aviation, à
la faveur du désarroi, ces visites prirent un grand intêret et permirent même
de constituer une petite collection; dans le dos de la sentinelle, des avions
touchés au sol furent dépouillés de ce qui restait encore intact (spécialement
du compas de direction). Lorsque la clé anglaise était impuissante, elle se
transformait en marteau pour éviter aux allemands le pénible travail de récupération
ou de réparation. Les casernes fournirent des casques, casquettes et souvenirs
du même style.
- La situation se compliqua un jour fort désagréablement
: la première salve d'un tir de barrage américain fouilla la terre à moins de
cent mètres de nous ; un autre jour, une mission de deux garçons fut arrétée
par les allemands dans un village (Richardménil) à un kilomètre de la zone de
combat, le lendemain d'une attaque américaine tentant de passer la Moselle :
le village promettait beaucoup d'intérêt : dès les premières maisons, nous repérions
un char camouflé dans une grange et brusquement un officier nous arréta, appela
des soldats et nous fit garder fusil au poing. Son interrogatoire parut interminable.
A l'extrémité de la rue, un groupe silencieux de paysans semblait fort inquiet.
Lorsqu'enfin l'officier nous rendit notre liberté, nous fûmes accueillis chaleureusement
par le maire du village qui expliqua l'angoisse de tous par le fait qu'en une
quinzaine de jours, onze jeunes gens de passage avaient été fusillés. A notre
départ du village, l'officier nous interrogea de nouveau, de moins en moins
convaincu ... c'est avec soulagement que nous nous vîmes enfin libres sur la
route du retour.
- d'autres fois, le groupe put rendre quelques services à la population : c'est
ainsi que les habitants de Jarville ayant eu deux heures pour évacuer leurs
maisons trouvèrent plusieurs charrettes, de jeunes bras, et beaucoup de bonne
volonté pour les secourir dans leur détresse.
Durant les semaines qui précédèrent l'arrivée des alliés, le Groupe Mafeking
assura des missions jusqu'aux Vosges et aux frontières de l'Alsace-Lorraine.
Un Routier fut arrété et gardé par les allemands jusqu'à la libération à Villey-le-Sec.
A la fin du mois d'août, la tournure des événements laissa prévoir une résistance
allemande dans notre région et Nancy même ne sembla pas être à l'abri des combats
de rues.
Quelle serait alors notre utilité ?
C'est pour répondre à cette question que fut lancée l'idée d'un Poste
de Secours. Grâce au Service de Santé des Forces Françaises de
l'Intérieur et surtout à des initiatives privées -souvent au détriment
des allemands- le poste posséda bientôt un important matériel
permettant de faire plus de 400 pansements et des interventions de
petite chirurgie. Rien ne fut oublié : ni réserve d'eau, ni
ravitaillement, ni éclairage de secours ... Une salle voisine munie de
matériel de désinfection et de nettoyage devint salle de triage. Le
manoir resta "salle de garde".
Plus tard, en raison des bombardements possibles, le poste fut dédoublé
et la cave d'une institution voisine fut mise en état à cet effet.
Pour sa première sortie en uniforme, aprés cinq ans de camouflage, ce
n'est pas sans fierté que la Haute Patrouille au complet participa à la
revue des Forces Françaises de l'Intérieur, passée par le Général de
Gaulle. (photo ci-dessous)
Haute Patrouille Nancy
Groupe clandestin Mafeking
Photo historique : Les 3 petits scouts étaient de la troupe - XIIème NANCY- à l'honneur pour son "Groupe MAFEKING"
NB : le chef qui est derrière, à l'extrème gauche, en chapeau, est Jean TISSIER
qui fut pendant toute la durée de la guerre, notre contact avec la zone libre
(revues, insignes , livres .. aujourd'hui décédé.)
Ceci est le brassard FFI de Daniel PETIT,
Chef de Troupe de la XIIème NANCY, donc le C.P. de la Haute Patrouille.
La Haute Patrouille d'une troupe comprend le CT et l'ensemble des Chefs
et des Seconds de Patrouille. La 12ème NANCY était la troupe de Daniel
pendant la guerre. La H.P. "Groupe Mafeking" a travaillé sous ce nom
pour le Réseau
Mithridate pendant cette période.
ANNEXE :
Ce qui précéde est un récit authentique qui fut demandé à Daniel au 45ème Chamarande,
et qui a paru dans le numéro 208 de SCOUT d'avril 46. Jean-Louis FONCINE l'a
repris dans "Scouts du monde entier" édition 1957 pp. 57 à 61, et pp. 44 à 46
dans l'édition Orme rond de 1986.