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Hélie Denoix de Saint Marc
Déporté à Buchenwald et «soldat perdu» condamné à dix ans de réclusion criminelle après le putsch manqué d’Alger, Hélie Denoix de Saint Marc, décédé lundi à l’âge de 91 ans, symbolisait les déchirements de la France de la Résistance à la guerre d’Algérie.
«Je n’ai pas réussi dans la vie. Je ne suis pas un grand chanteur ou un grand industriel. Mais je crois avoir réussi ma vie», confiait-il en novembre 2011 à la veille de son élévation à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction de la République.
Cassé par les rhumatismes, il se déplaçait avec difficulté mais ses yeux clairs gardaient toujours une lueur amusée.
Né le 11 février 1922 dans une grande famille bordelaise maurassienne, il s’engage dès l’âge de 19 ans dans le réseau Jade-Amicol, réseau de résistance du Sud-Ouest, chargé du passage des aviateurs anglais abattus vers l’Espagne.Trahi, il est arrêté le 13 juillet 1943 à Perpignan. Déporté à Buchenwald puis à Langenstein, il est libéré d’extrême justesse, inconscient et squelettique dans le baraquement des mourants, parmi les 30 survivants d’un convoi de 1 000 déportés.
A son retour en France, il choisit la Légion étrangère à sa sortie de Saint-Cyr et part en juin 1948 pour l’Indochine, «la première des guerres orphelines» où il découvre la guerre, «horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de crasse, de sang, de larmes.» Dès lors, il sera un très brillant officier, accumulant les citations. Treize au total, dont sept pour l’Indochine, sans compter la croix de chevalier de la Légion d’honneur à 30 ans
Le jeune officier, ébloui par la beauté du pays, est affecté au poste de Talung, à la frontière de la Chine. Il reçoit au bout de 18 mois l’ordre d’évacuer, abandonnant villageois et partisans aux représailles du Vietminh, une «honte» qui ne cessera de le hanter.
«Je ne regrette rien»
Après l’amère campagne de Suez, en 1956, il débarque à Alger où il se charge des relations avec la presse. Comme une partie de l’armée, il s’inquiète du revirement du général de Gaulle en 1959, qui prône l’autodétermination, après cinq ans de guerre pour maintenir l’Algérie française. «J’étais légaliste, et nous avions bien conscience que le statut colonial avait fait son temps. Mais une partie des musulmans se battait à nos côtés et je me souvenais du Vietnam, où nous avions abandonné une population à qui nous avions promis la protection», racontait-il en 2011.
Commandant par intérim du 1er Régiment étranger de parachutistes (REP), il cède aux arguments du général Challe. Il se dit «certain qu’il ne s’agit ni d’un coup d’Etat fasciste ni d’une action à tendance raciste». Il participe à la prise d’Alger à la tête de son unité, fer de lance du putsch qui échoue. Le 1er REP est dissous et les légionnaires quittent leur camp de Zeralda en chantant «Je ne regrette rien.»
L’officier de 39 ans, marié et père de deux petites filles, comparait en juin 1961 devant le Haut tribunal militaire en grand uniforme, décorations pendantes, coiffé de son béret vert de légionnaire. Le 5 juin, après un délibéré d’une heure, Hélie Denoix de Saint Marc est condamné à dix ans de réclusion et radié de l’ordre de la Légion d’honneur. «C’était ma deuxième détention. Sans trop savoir pourquoi, j’ai pensé à un sandwich. J’étais un homme entre deux couches de prison», raconte-t-il dans «L’aventure et l’espérance». Gracié en décembre 1966, il sort de la prison de Tulle sans maison ni métier, dans un pays qu’il reconnaît à peine.
Il saisit alors la main tendue par un ancien déporté, à Lyon et entre dans une imprimerie. Réhabilité en 1978, il sort de son silence en 1995 dans ses mémoires «Les champs de la braise», écrits par Laurent Beccaria, prix Femina de l’essai. Suivront une dizaine d’ouvrages, dont «Notre histoire, 1922-1945», en collaboration avec un écrivain et ancien officier allemand, August von Kageneck.
 
Libération 26 août 2013
http://www.liberation.fr/societe/2013/08/26/deces-du-resistant-helie-denoix-de-saint-marc_927107


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