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Impossible d’évoquer le 80ème anniversaire de ces journées tragiques de juin 1940
sans reproduire ce texte consacré aux évènements du 20 juin 1940 sur le territoire de Benney.

Ce texte a été rédigé par André Moitrier, trop tôt disparu le 24 mars 2001, initiateur et cofondateur de l’Espace de Mémoire Lorraine 1939-1945.
 
   BENNEY  
20 JUIN 1940

 
Le 20 au matin, c'est assez calme, bien que des tirs d'artillerie reprennent un peu ainsi que des tirs de mitrailleuses vers le canal. Puis, à part le « Mouchard » (un des surnoms donné au Henschel 126, petit avion de reconnaissance), tout devient silencieux et inquiétant, plus de mouvement de troupes.
Nous avons appris plus tard que les Boches avaient traversé la Moselle à Velle au prix de neuf blessés la veille (le pont n'ayant pas sauté). Le 20 au matin, ils étaient en position dans les vergers des "Pagos" (ce qui est en bois aujourd'hui dans la côte vers Crevéchamps, était en verger et en vigne à l'époque).
Monsieur Charles Thomassin ayant été faner son foin les avait confondus avec  des Polonais  (il en était passés quelques temps auparavant et leurs uniformes étaient assez ressemblants). Il avait demandé "vous polonais?"…. Ils avaient ri un bon coup…. Monsieur Thomassin s'est rendu compte de sa méprise en fin de journée.
Dans l'après-midi de ce 20 juin, peut-être vers 15 heures, un side-car allemand est arrivé par la route de Crevéchamps, a tourné à droite s'arrêtant devant la maison de Monsieur Jacquemin Victorin, aujourd'hui n°3 rue du château d'eau. Ils étaient trois à bord avec mitrailleuses. Ils cherchaient sans doute à parlementer. Comment ont-ils interpellé les premières personnes ? Je ne sais pas …
Habitant chez mes parents, maintenant 60 grande rue, je pense m’être avancé en curieux. Nous étions une dizaine de personnes à écouter ce que l'on appellerait aujourd'hui "un lavage de cerveau". Nul n'osait se dérober, ils nous ont même distribué une tranche de pain noir que je n'ai pas appréciée.
Je me suis souvent posé la question de savoir: avaient-ils un appareil photo?, car je me souviens d'une affiche placardée devant chez moi sur la grange de Monsieur Martin, aujourd'hui 59 grande rue, affiche faisant ressortir la bonté du soldat allemand distribuant des tartines aux populations abandonnées.
Pendant ce temps, quelques soldats français attardés arrivant par la route du bois sont stoppés par Madame Regnière Louise (16 rue du Château d'eau) leur disant "ne passez pas par là, les allemands y sont". Ils font demi-tour et viennent s'embusquer dans les ruines d'une vieille maison derrière le lavoir existant à l'époque, la fontaine subsiste de nos jours face à la route de Crevéchamps. Quand le side-car est reparti en prenant le virage de la route de Crevéchamps une vive fusillade à éclaté venant de derrière le lavoir, apparemment sans résultat, si ce n'est une vive accélération du side-car.
Cela provoqua certaines inquiétudes des présents. Mon père ayant fait le conflit de 14-18 où il fut prisonnier, connaissant les exactions dont ils étaient capables, alla trouver Monsieur Nicolle Albert (maire) lui faisant part des craintes que ces boches soupçonnent les civils d'avoir ouvert le feu sur eux et qu'ils n'exercent des représailles sur la population (comme cela s'est produit le lendemain à Pulligny).
Ayant pris Monsieur Kirsch comme interprète, les voilà  tous les trois au devant des allemands pour leur dire que ce ne sont pas les civils qui ont tiré sur eux.
Ayant rencontré une colonne arrivant à pieds de la direction du bois et après avoir parlementé, ceux-ci déclarèrent ne pas être au courant de l'incident. Par contre quelques instants plus tard, un détachement cycliste d'une trentaine de soldats précédés d'une voiture avec officiers venant de Crevéchamps mit pied à terre dans la côte à hauteur du n°64 Grande rue, demandant bruyamment où étaient les soldats français. Ils s'étaient donc rendu compte de ce qui s'était passé et l'incident était clos. L'occupation du reste du pays a du se passer sans autre incident si ce n'est un soldat ne voulant pas se rendre, un boche à tiré un coup de fusil en l'air de semonce mais je n'ai pas vu ce fait personnellement.
D'autres troupes sont arrivées à cheval ou en voiture mais pas un char ni engin blindé ne sont passés à Benney lors de leur arrivée.
Dès leur arrivée, ils sont allés accrocher une immense bannière nazie à croix gammée en haut du clocher à hauteur des cloches, de même en travers de la rue d'Ormes devant chez Moulin, aujourd'hui n°3, là où ils avaient installé la "kommandantur" (état major), la maison étant vide, suite au départ de la famille Moulin qui avait fui l'avancée allemande.
Madame Lamord, habitant en face (aujourd'hui 8 rue d'Ormes) et connaissant leur langue servait d'interprète.
Depuis quelques jours nous étions habitués à la fatigue et au désordre de la débâcle de l'armée française, il est certain qu'il y avait un contraste avec les nouveaux arrivants où la discipline et la rigueur régnaient, vainqueurs, mais également fatigués et couverts de sueur par leur avancée trop rapide et surtout affamés par leur arrivée. Ils ont réquisitionné ma mère pour leur faire cuire trois poules prélevées dans le poulailler de Madame Laurent Fernande (aujourd'hui 9 places de la fontaine) qu'ils ont dévorées à deux sans pain mais avec du vin….
Le soir même des agriculteurs furent réquisitionnés avec chariots et attelages pour en conduire un certain nombre à Mangonville : Monsieur Viol Théophile et Monsieur Chabillon Georges. Il y en avait d'autres, je ne me souviens plus des noms. Le soir ils avaient fait leur toilette à la fontaine et faisaient sécher leur linge sur les grilles du monument aux morts. Conduisant encore les vaches de Monsieur Martin au parc, mais cette fois route d'Ormes, l'une d'elle a happé avec sa langue une ceinture de toile qui séchait et l'a avalée malgré les cris furieux des Schleus. Inutile de décrire la trouille que j'avais au retour. Je me souviens avoir fait un grand détour de peur qu'ils me reconnaissent.
Les jours suivants, il a du en rester une cinquantaine pour récupérer les armes et le matériel abandonné par les soldats français un peu partout.
Je ne me souviens pas combien de semaines ils sont restés ni où ils logeaient, ni où ils stockaient ce qu'ils récupéraient. Peut-être allaient-ils à Ceintrey où il y avait un important dépôt de matériel français.
Par contre je me souviens de leur traversée du pays le matin, à midi ou le soir en chantant bruyamment leurs chants guerriers.
Des milliers de chevaux ont transité par Benney, venant sans doute des régions de Sion, Vézelise, Colombey où des corps d'armée au complet s'étaient rendus. Ces chevaux étaient conduits par des prisonniers français escortés de quelques allemands en armes.
A Benney, comme partout sans doute, des hordes de chevaux abandonnés saccageaient les récoltes. Tous les agriculteurs en avaient rentré, ainsi que d'autres personnes pour leur usage personnel, mais ayant été obligés de les déclarer à la Kommandantur par la suite, les allemands les recensèrent et les récupérèrent au fur et à mesure de leur besoin lors de la campagne de Russie.
Avec les copains je me souviens en avoir poussé tout un troupeau devant nous, jusqu'au pont de Velle où l'on s'est fait copieusement engueuler par les agriculteurs du coin.
Depuis la route de Saint-Remimont, où je fanais du foin, on apercevait de longues colonnes de prisonniers à pieds sur la route de Saint-Remimont-Crevéchamps
Les semaines qui ont suivi amenèrent des nouvelles, soit de ceux qui avaient échappé à la captivité et qui rentraient au gré des possibilités en passant  la ligne de démarcation qui séparait la France occupée de la France dite "libre".
Hélas, vingt-trois autres prisonniers originaires de Benney  annoncèrent dans des délais plus ou moins long suivant leurs possibilités, qu'ils avaient été emmenés comme prisonniers de guerre en Allemagne. Ni eux ni leurs familles ne pouvaient penser à l'époque qu'ils y resteraient cinq ans.



Par contre, s’il n’y avait pas eu de victimes dans le village, nous apprenions bien vite qu’à l’extrémité nord du territoire, deux braves du 161°R.I. avaient été tués en défendant le passage du canal à la passerelle du Ménil Saint Michel. Les soldats  Serge Harel et Roland Julliard furent inhumés sommairement mais dignement par des mariniers dont les péniches étaient bloquées sur le canal par les événements. Ces mariniers avaient rendu décentes leurs tombes où les noms de chacun étaient inscrits sur des pierres plates, des douilles d’obus de 37 servant de vases pour les fleurs avec une croix à chacune de leur tombe coiffée de leur casque respectif.
Ils furent exhumés le 21 février 1941, placés dans des cercueils  et ramenés au cimetière de Benney par Paul Renard (alors fossoyeur) dans la charrette de laitier de Monsieur Tissot (alors fromager au 22 place de la Fontaine). Les honneurs leur furent rendus modestement au monument aux morts par la population du village avec la complicité de M. Albert Nicolle (maire) et de M. Joseph Defeux (président des Anciens Combattants), tous deux anciens combattants de 14/18. Le drapeau était caché derrière les maisons (rue de la Forge) en attendant de l’incliner sur les cercueils pendant que le curé Bourlier  officiait. Le service religieux continua à l’église avec une assistance nombreuse et recueillie (drapeau caché par crainte d’un passage éventuel des allemands qui n’auraient pas apprécié la présence du drapeau français).

André MOITRIER

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