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Portrait : Yvette Weisbecker
   « Merci la vie »  

Juillet 2017, accompagnée par Serge,
Yvette, 97 printemps et demi, en visite à l’Espace de Mémoire
 
La visite d’Yvette à l’Espace de Mémoire est l’occasion de présenter le parcours d’une personnalité hors du commun.
Yvette Resnick est née à Blâmont en décembre 1919. Son père Aria est russe, sa mère Anna est polonaise, tous deux sont juifs. Ils sont arrivés en France en 1904. Après 6 ans passés à Paris, ils arrivent à Blâmont en 1910.
Quand éclate la Première Guerre mondiale, Aria qui souhaite défendre ce pays qu’il admire, décide de s’engager. Pour ce faire, il se fait passer pour Alsacien-Lorrain, et est incorporé au 30ème Régiment d’Infanterie. Le 24 avril 1918, lors de la Bataille des Flandres, il est sérieusement blessé et reste bloqué durant deux jours partiellement enseveli dans sa tranchée. Ce sont les Allemands qui le dégageront et découvriront qu’il a une jambe arrachée. La gangue de terre qui le retient prisonnier a fait office de garrot et a empêché qu’il ne se vide de son sang. Soigné, amputé, il finira la guerre comme prisonnier.
La guerre terminée, la famille Resnick revient à Blâmont en 1919. Aria est naturalisé en 1922, Anna et leurs deux filles le sont en 1924.  Yvette et sa sœur ainée Marguerite sont adoptées « Pupilles de la Nation ».
Après avoir fréquentée l’école primaire de Blâmont, Yvette est pensionnaire à l’école supérieure de Pont-à-Mousson. Puis elle entre à l’Ecole Normale d’Institutrice, promotion 1937-1940.
A la rentrée 1940, elle est nommée à titre provisoire à l’école de Blémerey (canton de Blâmont). Le 11 novembre, elle hisse le drapeau français au fronton de son école. Le 14 novembre, elle reçoit « la notification de sa déchéance des droits à enseigner, en application du statut des juifs promulgué par l’Etat français le 3 octobre 1940 ».
Yvette s’installe alors à Nancy, où le Docteur Meignant, qui fut son professeur à l’Ecole Normale, lui propose de donner des leçons particulières à des jeunes « retardés » de ses patients.

Paul Meignant
Installé à Nancy en 1930, le docteur Paul Meignant, neuro-psychiatre  fonda  l’Association Lorraine pour la Défense de l’Enfance et de l’Adolescence, l’ALSEA.
Pour en savoir plus sur le docteur Paul Meignant :
http://www.professeurs-medecine-nancy.fr/Meignant_P.htm
 
19 juillet 1942, Yvette est réveillée par Sam Spiegel, son beau-frère, le mari de Marguerite. Il faut fuir en zone libre.
C’est la première rafle de Nancy. Rafle qui échoue grâce à l’action exemplaire, et maintenant reconnue, des policiers du service des étrangers de Nancy, dirigé par Edouard Vigneron. (voir à ce sujet en PJ le dossier PDF Dominique Baguet : « Les Justes de Nancy »).
Marguerite, son ainée de 11 ans, et Yvette, tentent en vain de convaincre leurs parents de les suivre. Confiants dans la France, se croyant protégés par les glorieux faits de guerre d’Aria, par son statut d’Ancien Combattant de la « Grande Guerre », ses décorations (il est Officier de la Légion d’Honneur), ceux-ci refusent de fuir le danger.
Commence alors pour Yvette, Marguerite, Sam, et leur fils Jean-Maurice, un exode qui durera plus de deux ans. Un exil parsemé d’embuches, ou de sordides dénonciations seront contrariées par d’admirables gestes de solidarité.
Munis de faux papiers établis par Eugénie Bergé de Vandoeuvre, ils se réfugient en Zone Libre.

Eugénie Bergé


Eugénie Bergé, née Xénard en 1887 à Lunéville, elle avait épousé Paul Bergé, secrétaire de mairie à Vandœuvre. Elle s’engagea activement dans la résistance dès le début de la guerre, distribuant en mairie des tickets de rationnement et aidant son mari dans la fabrication de faux papiers. Le 20 novembre 1942, elle fût arrêtée par la Gestapo puis déportée au camp de Ravensbrück, où elle mourra de privation et d’épuisement en mars 1945, deux mois avant l’arrivée des Américains.

Une rue de Vandoeuvre porte son nom.
(Source : Mairie de Vandoeuvre)


 
(source : Fondation pour la Mémoire de la Déportation : http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.302.)
 

Installés à Palluau-sur-Indre (Indre), Yvette et sa famille sont dénoncées par le brigadier de gendarmerie. Informés par un gendarme, aidés par une employée des postes, recommandés par Monsieur Petit, greffier au tribunal de Nancy, ils se réfugient au printemps 1943 à Toucy dans l’Yonne.
Pour les parents d’Yvette, la vie bascule le 13 août 1943, Anna est arrêtée à son domicile de Blâmont, en même temps qu’une trentaine d’israélites. Aria s’en sort miraculeusement, il était parti très tôt pour s’occuper de son jardin. Il est prévenu par une voisine qui lui impose de se cacher. Monsieur Crouzier, le maire de Blâmont donne de l’argent à Aria pour lui permettre de fuir et de rejoindre sa famille réfugiée dans l’Yonne.
Anna, elle sera internée à Ecrouves, transférée à Drancy le 11 octobre, avant d’être déportée à Auschwitz le 28 octobre 1943. Elle est déclarée décédée le 2 novembre 1943.
 
A Toucy, la famille est installée dans une maison près de la forêt. Les fugitifs sont protégés par Pierre André, brigadier de gendarmerie et par Michel Martiré le secrétaire de mairie.  Tous deux seront faits « Justes parmi les nations » à titre posthume, en novembre 2009, à la suite des démarches engagées par Yvette.
Il y a quelques semaines, (juin 2017), le nom de Pierre André était donné à la gendarmerie de Toucy. Yvette assistait à la cérémonie.

Yonne Toucy   le 28 juin 2017
Yvette Weisbecker, entourée d’une petite-fille de Pierre André, du colonel William de Meyer, et de la secrétaire générale de la préfecture de l’Yonne, Françoise Fugier © .

La gendarmerie portera désormais le nom de Pierre André
Pierre André était brigadier à Toucy entre 1941 et 1946, période pendant laquelle il avait aidé à sauver des Juifs et des Résistants.
Elle porte désormais le nom de Pierre André, brigadier à Toucy entre 1941 et 1946, période pendant laquelle il avait aidé à sauver des Juifs et des Résistants, avec Michel Martiret, alors secrétaire général de la mairie toucycoise. Les deux hommes ont été reconnus Justes parmi les nations en 2009.
Yvette Weisbecker, clandestine juive et sauvée d'une mort certaine par ces deux hommes en 1943, est venue à Toucy leur rendre hommage. « Je suis très émue de pouvoir assister à cette cérémonie et je remercie la vie de pouvoir exprimer ma gratitude envers Pierre André », a-t-elle témoigné, du haut de ses 98 ans.
« Ce sont mes frères, leur rencontre est un élément vital de mon existence. À vous, les gendarmes de 2017, pensez à Pierre André qui a refusé d'obéir à l'État du moment et a choisi entre désobéir ou sauver des vies. »
Les familles des deux hommes étaient également représentées.
C. F.

Pierre André, brigadier de gendarmerie, né à Tantonville !
Pierre André est né le 16 juillet 1904 à Tantonville, au domicile de ses grands-parents maternels.
Après son service militaire effectué au 20ème escadron du Train (1924-1925), il entre dans la gendarmerie en décembre 1926. A son retour de Corse (août 1927-mai 1929), Pierre André passe à la « Prévôté des Troupes du Levant ». Il enchaine alors les séjours à Beyrouth et Damas, et ne rentre en France qu’en septembre 1941.
Il a été nommé maréchal des logis chef le 10 juin 1940.
Après une permission de retour, il réintègre la gendarmerie en décembre 1941.
« Il sert dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) du 1er octobre 1943 au 24 août 1944. Au maquis de « Mérry-Vaux », en tant qu’agent de renseignement et de recrutement, il aide plusieurs groupes locaux de la Résistance. Pierre ANDRE prévient les maquis des attaques allemandes, intercepte les courriers de dénonciation, falsifie les enquêtes concernant les groupes de Résistance, recrute pour les maquis, facilite les opérations de parachutage et participe à plusieurs attaques de convois. Il héberge des résistants, des réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO), et cache jusqu’à la Libération, des réfugiés juifs avec l’aide de Michel MARTIRE, secrétaire de la mairie de Toucy, qui leur fournit des cartes d’alimentation et des faux papiers. Il détourne des lettres de dénonciation concernant cette famille et les avertit quotidiennement des mouvements de la Milice.
Il prend part, au sein des FFI, aux combats de la Libération du 17 au 25 août 1944. »
(source : site de la Gendarmerie de l’Yonne, et dossier militaire)
Nommé adjudant le 10 mars 1946, il est muté dans la 6ème Légion de gendarmerie.
Admis à faire valoir ses droits à la retraite, il se retire chez lui à Gerbéviller le 1er juin 1954.
C’est dans cette ville qu’il décède le 13 mai 1959.



Il était titulaire de :

-       La Croix de Guerre avec étoile d’argent
-       La Croix de Combattant Volontaire de la Résistance
-       La Croix de Combattant Volontaire 1939-1945
-       La Médaille Militaire (1938)
-       La Médaille coloniale avec agrafe « Maroc » (1925)
-       La Médaille d’honneur du mérite syrien (1936)
-       La Médaille d’honneur du mérite libanais (1940)
-       La Médaille de la Paix espagnole (1930)
 
(photo : site Gendarmerie de l’Yonne)

Fin août 1944, c’est enfin la Libération tant attendue.

Yvette rejoint Paris en auto-stop, et s’engage dans la Mission Française de Rapatriement.
Elle veut savoir ce qui est arrivé à sa mère. Entendant les témoignages des rapatriés, elle découvre l’horreur des camps de concentrations, et la barbarie du régime nazi. Elle apprend les circonstances du décès de son oncle Julien Kleidman, le frère de sa mère, déporté le 22 juin 1942.
Démobilisée, elle rentre à Nancy début 1947, et entre dans  l’Association Lorraine pour la Défense de l’Enfance et de l’Adolescence, l’ALSEA. Le docteur Meignant lui présente le Doyen Parisot fondateur de l’Office d’Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle. Elle leur présente son projet de création d’une structure destinée à accueillir et à éduquer des jeunes filles en rupture de ban.
Son projet accepté, ils lui font visiter les maisons disponibles appartenant à l’OHS. C’est Yvette qui choisit le « château » de Han sur Seille. « Une élégante » demeure endommagée par la guerre.. Elle fait la connaissance des gardiens Auguste et Catherine Iung, arrivés en 1920, et restés seuls avec leurs trois enfants dans la maison dévastée.
Mai 1947, le projet d’Yvette voit le jour, tout reste à faire. Avec très peu de moyens, il faudra tout faire soit même. Auguste commence les réparations les plus urgentes, le père d’Yvette vient s’installer sur place et apporte sa pierre à l’édifice.
Le concept d’Yvette est révolutionnaire pour l’époque,  tout le monde doit participer aux travaux, et à l’organisation de la structure. Les pensionnaires seront associées aux décisions et à l’organisation de la discipline. La première adolescente arrive en octobre 1947 : au programme : alternance des travaux d’aménagement et travaux scolaires.
La structure prend forme, pensionnaires, et volontaires arrivent et s’investissent à fond dans le projet. Des dons arrivent même de l’étranger. Le centre de rééducation devient un « centre éducatif et professionnel », qui se transforme bientôt en « communauté d’enfants de Han ». Le rêve d’Yvette est devenu réalité.
Elle en sera la directrice pendant 10 ans. C’est à Han qu’elle rencontrera André Weisbecker qui deviendra son mari en 1956.
Des problèmes de santé, et la naissance de son fils obligent Yvette à passer la main en 1957, ce qui entraine la fin de l’aventure.
En 10 ans, 159 fillettes et jeunes filles  étaient passées par la maison de Han.
En 1956, Yvette était réintégrée dans l’Education Nationale.
En 1958, André, son mari est nommé enseignant dans un lycée de Saint-Dizier. Yvette se voit en charge de l’ouverture d’une nouvelle école dans le quartier du « Vert Bois » en cours d’aménagement.
En 1964, tous deux reviennent sur Nancy, André à l’Ecole Normale, Yvette est nommée directrice de l’Ecole d’Application, poste qu’elle occupera jusqu’à sa retraite prise en 1974.
16 novembre 2016, Elle recevait le titre de commandeur des Palmes académiques. Le plus élevé des trois grades de cet ordre lui a été remis à l’inspection académique rue d’Auxonne.
A cette occasion, évoquant « sa » maison de Han, elle déclarait : « C’était une ancienne demeure qui avait été bombardée. Je trouvais magnifique de mettre des jeunes filles perdues dans une maison à reconstruire. Elles avaient à se reconstruire elles-mêmes. Et j’avais besoin moi aussi de me reconstruire… » Pendant 10 ans, elle a dirigé cette maison « sans inégalités, sans hiérarchie, sans sanction ».
Le centre existe toujours. Il héberge des mineurs en difficultés.
 
Pour en savoir plus sur Yvette :
Son témoignage :  « Mémoire et engagement – Des mauvais hivers 1940-1944 à l’éclatant printemps 1947-1957″
Juin 2012, Essais et documents. Le Manuscrit www.manuscrit.com.
 
 
« Château de Han », enfants en danger, famille Iung …
impossible de terminer ce dossier, sans rappeler l’extraordinaire histoire
de la « Patrouille des bébés », c’était il y a 11 ans … déjà !

 

20 juin 2006, Shirley et Marcel,
une rencontre inoubliable

6 juin 2006, dans la cave du « château » de Han, Marcel, Jacqueline, Gilberte, Paul, et Nicole,
5 « enfants de la chance » de 1944
C’est en juin 2006, dans le cadre d’une extraordinaire recherche des « enfants de la chance » sauvés par la « patrouille des bébés », que nous avions rencontré Marcel.
A cette époque, à la demande de Shirley, nous avions essayé de retrouver quelques-uns de ces « enfants de la chance » sauvés par une patrouille de 10 volontaires Américains au château de Han-sur-Seille le 29 septembre 1944. Parmi ces volontaires, Homer D. Ricker Jr, le père de Shirley, qui devait être tué le 31 septembre 1944, au cours de la Bataille des Ardennes. Lorsque son meilleur ami avait alors demandé à Homer pourquoi il s’était porté volontaire pour une mission aussi périlleuse, alors qu’il ne faisait pas partie du régiment sollicité, celui-ci répondit simplement « pour soulager la souffrance humaine ».
La première « enfant » à répondre à l’appel lancé dans l’Est-Républicain le 29 mai 2006 fut Gilberte Ravaux.
Gilberte, et ses sœurs faisaient partie des enfants de Nancy réfugiés à Han-sur-Seille en 1944.
Lors de la publication de l’arrêté du maire de Nancy le 19 mai 1944, leur mère, Louise Voillard, une « vraie mère poule » selon les déclarations de Gilberte, était partie avec ses 4 filles pour se réfugier au château de Han. Ne voulant pas être séparée de ses filles, elle s’est faite engager comme cuisinière au centre. Gilberte avait 11 ans, ses sœurs, Marguerite, 14 ans,  Nicole, 4 ans, et Jacqueline, 3 ans.
Les souvenirs de cette nuit étaient gravés dans la mémoire de  Gilberte. Leur mère agitant un drapeau blanc pour aller prévenir les Libérateurs de la présence des enfants, la marche à pied vers Manhoué, les camions, les tirs d’artillerie, les pleurs des enfants, l’arrivée dans un centre d’accueil rue de Serre, les deux biscuits vitaminés donnés à chacun…
Gilberte, contactait également Marcel Iung, le fils des gardiens du centre, un couple de réfugiés alsaciens, (Auguste et Catherine). Marcel qui avait 16 ans à l’époque, résidait toujours dans la région.
Le 16 juin 2006, à l’occasion de la visite de Paula, tous nous nous retrouvions à Han, où nous faisions la connaissance de Gilberte, Nicole, Jacqueline, Christian et de Marcel, une journée inoubliable.
Ce jour-là, aussi, tous les participants, faisaient connaissance de Marcel, une gouaille, un humour, une gentillesse, une bonne humeur, une simplicité et une générosité sans pareil.
Les souvenirs très précis de Marcel et sa personnalité si attachante avaient largement contribué à la réussite de cette journée.
Quatre jours plus tard, c’est encore Marcel qui accueillait Shirley à Han, pour une visite imprévue.
Le 20 juin, à peine arrivée à Luxembourg en provenance des Etats-Unis, pour participer à la semaine de l’amitié Americano-Luxembourgeoise, les bagages déposés à l’hôtel, Shirley, son mari Al, et leur amie Cathy prenaient la route pour Han. Ce voyage, Shirley en rêvait depuis des années, n’osant plus  croire qu’un jour, elle pourrait rencontrer, « ne serait-ce qu’un seul des 81 enfants », sauvés par la « patrouille des bébés », à laquelle appartenait son père,   cette nuit du 29 au 30 septembre 1944.
L’émotion de la rencontre avec Marcel faisait immédiatement oublier la fatigue du voyage.
Echanges de souvenirs, visite du centre, rencontre avec les enfants de la classe spécialisée qui lui avaient préparé des dessins.
Accompagnée par Marcel, Shirley avait refait dans Han le chemin parcouru par les « enfants de 1944 »
 
Victime de ce que l’on a coutume de nommer « une longue et douloureuse maladie », Marcel s’en est allé le dimanche 22 février 2009.
 

Les quatre filles de Louise Voillard
Gilberte, 11 ans, Marguerite, 14 ans,  Nicole, 4 ans, et Jacqueline, 3 ans.
 
Retrouvez toute l’histoire de la « Patrouille des bébés »
-   Dossier format PDF

-     Dossier Site   http://espacedememoire.fr/, rubrique « DOSSIERS », dossier n° 2






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