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18 juin 1940       Alcide Guibert et Robert Dion,
héros anonymes, Une histoire oubliée au fond d’une malle, ressuscitée grâce à la vigilance de Maurice Vandeweyer de Couvin (Belgique)

Une histoire reproduite avec l’autorisation de son auteur, qui si elle est moins souriante que les précédentes,
n’en est pas moins émouvante, en particulier par la découverte inattendue faite en mai 2011.
Guibert Alcide, soldat, mort pour la patrie
  Dessin réalisé dans une école primaire après la guerre
« Il y a quelques années, ma fille achetait une maison à Couvin. Le fait en lui-même est bien banal et ne vaut même pas la peine d'être cité si ce n'est que dans le grenier, se trouvait une malle remplie d'objets divers que n'importe qui aurait jeté aux flammes tant le contenant était poussiéreux. C'est peut-être la raison qui fit que je me mis à fouiller et que des cartes et lettres diverses s'y trouvant m’apparurent soudainement intéressantes. Certaines dataient de la première guerre mondiale, d'autres de la guerre 40. Et puis, le dessin d'un drapeau belge entouré de palmes attira plus spécialement mon regard. Quelqu'un avait écris en biais : "Mort pour la patrie. Honneur à notre héros. Monsieur Guibert Alcide. Soldat. Couvin". Qui s'en soucie encore? Qui en dehors de la famille sait encore qu'un triste jour de 1940, un garçon, très jeune hélas, 20 ans, allait donner sa vie pour la défense de la liberté? Ne parlons pas de la démocratie, ce serait l'injurier.
Mes investigations furent dès lors poussées plus loin et je découvrais dans ce fatras, des lettres intéressant le soldat Alcide Guibert dont deux écrites de sa main et adressées à ses oncle et tante, en l'occurrence, monsieur et madame François Guibert, feus propriétaires de la maison. Je m'étais juré qu'un jour, si l'occasion m'était donnée, d'écrire un petit article sur ce malheur.
Le moment est arrivé et mon but ne sera pas de retracer la vie d'Alcide, moins encore ses combats, mais j'aimerais, en respectant la chronologie des lettres découvertes, essayer de vous faire éprouver ce que moi-même j'ai ressenti en les lisant et d'imaginer ce que les proches parents, tantes et oncles, cousins, cousines, amis et autres ont pu endurer pendant cette période douloureuse. Je ne ferai aucun commentaire par respect pour ce héros, inconnu des livres d'histoire mais qui a certainement eu la sienne.

Le premier écrit est une carte postale représentant le camp de Beverloo, adressée à Monsieur François Guibert. Nous sommes le 14 juillet d'une année illisible. Alcide faisait probablement son service militaire, il appartenait au deuxième régiment de chasseurs à pied, troisième bataillon, dixième compagnie et occupait avec ses amis le bloc A56.
"Cher oncle et Chère tante.
Je suis très bien arrivé et en bonne santé. Ici il pleuvait cette après-midi mais le temps est bon. Il se passe en corvées de patates. Cher oncle, tu connais cela, hein!,
Cher oncle et tante, cousins et cousine, bien des amitiés.
Alcide."
 
Un peu plus tard, le 28 mai 40, le soldat Guibert Alcide fait partie de la compagnie forestière A.B.E.C. Ce sera à mon sens la dernière lettre qu'il écrira à François Guibert puisque le 18 juin il devait décéder.
" Cher oncle, tante et la famille
La santé est bonne, et je serais si heureux si je savais qu'il en est de même pour vous tous.
Veuillez faire part de ma lettre à tous les parents. Si vous pouviez me répondre pour donner des nouvelles de toute la famille et aussi celle de Virelles, cela me ferait énormément de plaisir car j'ignore complètement quel est leur sort. C'est bien dur.Et mon petit Florent?
Des baisers et amitiés
Votre neveu et cousin.
Alcide."

Et cela semble se confirmer puisque sans nouvelles, en cette période abominable, les Guibert entreprennent des recherches. La Croix- Rouge de Belgique détient le monopole de cette recherche et le 3 octobre  1940 répond par une lettre polycopiée ce qui suit :
"Vous avez bien voulu, il y a quelque temps, nous adresser une demande de renseignements concernant votre fils Guibert Jean (1).Nous regrettons vivement de n'avoir pu recueillir, jusqu'à présent, aucune information à son sujet.
Nous vous serions obligés de bien vouloir nous faire connaître si, de votre côté, vous avez pu obtenir de ses nouvelles.
Nous vous remercions à l'avance et vous prions d'agréer, l'assurance de notre considération très distinguée.
AGENCE OFFICIELLE DE RENSEIGNEMENTS
BLESSES ET PRISONNIERS DE GUERRE
LE DIRECTEUR
 M. POLI (2)"
 (1) Alcide était officiellement appelé Jean-Alcide
(2) Seul le nom de Monsieur Poli figure sur le document, sans signature.

Une autre lettre émanant de la Croix-Rouge, provenant du service social (recherche), 4 rue de Florence à Bruxelles a été envoyée, non datée.
" En réponse à votre demande, nous avons l'honneur de vous faire savoir que des démarches sont faites par l'intermédiaire de la Croix Rouge Internationale aux fins de retrouver la (les) personne(s) que vous recherchez.
Nous espérons être sous peu en possession du renseignement, que nous vous communiquerons alors immédiatement. Si entre-temps vous étiez fixé au sujet de la (les) personne(s) absente(s), nous vous prions de vouloir bien nous avertir.
Veuillez croire, Madame, à l'expression de nos sentiments distingués. "

J'ose à peine imaginer ce qu'on peut ressentir dans son désarroi quand des lettres aussi impersonnelles vous arrivent. On se tourne de tous les côtés, on n'ose pas croire que la mort a fauché un jeune de 20 ans. On espère, on cherche, on questionne, on rencontre des gens qui sont dans le même cas. Dans l'adversité, on est toujours plus fort à plusieurs. C'est ainsi que le 28 novembre 1940, un certain L Dion de Florzé écrit à Monsieur Guibert.

" J'ai fait votre connaissance dans une bien triste circonstance... Comme le vôtre, je crois mon fils tué dans cette fameuse retraite de Verdun, ce lieu qui a déjà bu tant de sang en 1914-1918...
Je me rendis, à toutes fins de recherches, à Vézelise (Meurthe et Moselle-France) et n'ai rien trouvé quant à mon fils... Votre cher enfant, comme vous dites très bien, a donc lui, trouvé la mort dans cet endroit que vous n'oublierez jamais... Il a été tué dans un bombardement à Vézelise, le 18 juin dernier.. .Il est enterré - oserai-je vous le dire?..- sans cercueil -
Si vous vous rendez jamais à Vézelise, comme je m'y suis rendu moi-même aux mêmes fins, je vous conseille d'abord d'obtenir, des Autorités Militaires, les papiers en règle et ensuite, de vous faire suivre d'un cercueil, car le pays est absolument dénudé de tout objet semblable...
Oui, c'est bien triste, mais il le faut absolument.... et est inhumé près de l'Hospice de Vézelise, dans une tombe seule, à l'ombre de cet établissement.. .Les renseignements sont exacts malheureusement... Ressentant la même douleur que vous et les vôtres, je vous comprends on ne peut mieux... Nous sommes frappés probablement par la même douleur...
Tels sont, Monsieur Guibert, les renseignements que je puis vous donner...
Je vous souhaite bon courage et, dans l'espoir de nous voir un jour, je vous présente, ainsi qu'à votre famille, avec mes sincères condoléances, l'expression de mes sentiments affectueux..."

Même la lettre de ce Monsieur Dion qui semble très claire, ne convainc pas la parenté. Elle doute et elle espère qu'il y a confusion. Il ne reste qu'une seule possibilité de confirmation, c'est d'écrire au maire de Vézelise qui doit acter toute inhumation dans ses registres. Des amis, des parents, toutes les connaissances les soutiennent, oralement, par écrit comme ces amis de Walcourt dont voici la lettre datée du 17-12-1940 et transcrite textuellement.
"Bien chers camarades.
Je fais réponse à votre lettre qui nous a bien surpris d'après la nouvelle que vous venez de nous apprendre. Vous nous dites qu'il y a un certain individu qui vous a fait savoir qu'il avait découvert la tombe de votre fils Alcide mais nous pouvons pas comprendre cela car il y a plusieurs personnes qui s'appellent Guibert et qui peut se rapporter avec l'âge du votre car il y en a beaucoup que l'on a dit morts et maintenant qui sont revenus, enfin tant qu'à nous nous ne pouvons pas nous mettre une idée pareille dans la tête. Même Alcide n'a pas combattu puisqu'il était de la classe 40. Tous les soldats de l'active n'ont pas pris les armes puisqu'ils ont été évacués par trains expresse sur la France. Il ne faut pas croire tout ce qu'on vous raconte car vous savez il y en a toujours pour mentir aux gens.
D'ailleurs à Walcourt, il y a un camarade de Félix qui était sergent avec lui, on l'avait dit mort et voilà quelque temps que ses parents viennent d'en recevoir des nouvelles il est en Allemagne. Et combien de cas comme ça encore. Mais il ne faut pas vous décourager car vous n'avez pas toujours encore reçu des nouvelles qu'il était bien mort.
Enfin prenez  toujours courage. Maintenant nous terminons notre lettre en vous serrant la main à tous. Bien des compliments à toute la famille. Enfin nous espérons bientôt aller vous voir. Et si vous recevez quelques nouvelles du maire de la commune ou vous avez écrit en France faites nous le savoir."
 
Entre-temps le maire avait répondu à la demande de Monsieur François Guibert puisque celle-ci est datée du 10 décembre 1940.
" En réponse à votre lettre j'ai le douloureux privilège de vous confirmer qu'en effet votre enfant a trouvé la mort dans notre commune le 18/6 dernier, lors du bombardement de notre localité.
Votre fils a été inhumé dans un petit cimetière créé spécialement à cet effet, vu le nombre de victimes (47).Il repose avec ses camarades et les victimes civiles

Je vais vous expédier, sous pli recommandé le portefeuille, trouvé sur lui. C'est peu de chose, mais je souhaite de tout cœur que ce souvenir apporte un apaisement à votre grande douleur devant laquelle je m'incline respectueusement en vous priant de croire que je la partage.

Daignez agréer Madame, l'hommage de mon profond respect. "

Cette fois, c'est certain, la confirmation écrite du maire et le portefeuille qui va revenir par la poste enlèvent le dernier doute. C'est la consternation. On veut voir au plus tôt le corps de l'enfant aimé.  Monsieur Guibert ne sait probablement plus quel chat fouetter. Il se tourne tout naturellement vers celui qui le premier lui a annoncé la mauvaise nouvelle : Monsieur Léon Dion qui lui répond le 13 mars 1941 :
 "En réponse, à votre lettre  j'ai le regret, de vous dire, que je n'ai reçu aucune nouvelle ni de part ni d'autre.
Soyez assuré, monsieur Guibert si j'en recevais, je m'empresserai de vous les communiquer.
Avec ma reconnaissance je vous présente mes salutations distinguées. "

Le 17 mars 1941, enfin,  le bourgmestre de Couvin faisant fonction, Louis Donnay, rédige un laissez-passer en français et en allemand afin de permettre à la famille de se rendre à Vézelise.
Mais c'est la guerre, et les choses ne vont pas aussi vite qu'on le voudrait.
C'est ainsi que le 4 avril 1941, une nouvelle lettre de monsieur Dion doit certainement encore refroidir un peu l'enthousiasme d'aller reconnaître puis d'enterrer honorablement et décemment Alcide.
" Je m'empresse de vous répondre, vous avez fait erreur en lisant ma lettre, je vous disais que j'espérais recevoir les papiers nécessaires pour pouvoir me rendre à Vézelise pour l'exhumation des victimes non identifiées, et j'ajoutais (ce n'est pas le cas pour vous autres puisque votre fils est identifié) relisez ma lettre.
Pour le rapatriement, je ne crois pas avoir à espérer maintenant.
Pour moi-même j'attends toujours.
En attendant, de pouvoir vous transmettre d'autres nouvelles,
recevez Monsieur Guibert mes sincères salutations"

Monsieur Dion ne croyait pas si bien dire. Monsieur et madame Guibert sont-ils allés sur la tombe de leur fils Alcide?
Entre cette date du 4 avril et la dernière lettre reçue des autorités communales de Vézelise, je n'ai rien trouvé de probant comme correspondance. Voici donc cette lettre :
" Nous avons l'honneur de vous faire connaître que les autorités d'occupation, à la date du dix décembre 1941, ont autorisé l'exhumation, la mise en cercueil et la réinhumation au cimetière communal, des corps des victimes, militaires et civiles, du bombardement de VEZELISE en juin 1940.
La commune de VEZELISE a l'intention de procéder à ces opérations les 19, 20, 21 janvier prochain.
Vous êtes, en conséquence, invité à assister aux dites opérations d'exhumation, en vue de la reconnaissance éventuelle des victimes.
Au cas où vous ne croiriez pas pouvoir vous déplacer, cette exhumation sera faite avec tout le soin désirable et nous noterons tous les éléments vous permettant ultérieurement un rapatriement, ou toute autre décision.
Un rapport vous sera du reste adressé, mentionnant les particularités qui seraient de nature à vous intéresser.
P.S.- Inutile, a moins d'un choix spécial, de vous préoccuper du cercueil, ceux-ci, nécessaire à l'exhumation prévue, ayant été mis à notre disposition par le service de l'ETAT CIVIL et des SEPULTURES MILITAIRES, 163, rue Jeanne d'Arc à NANCY. "

Le 3 septembre 1944, Couvin était libéré du joug allemand et le 16 mars 1948, on signifiait à Monsieur Guibert qu'une pension du chef du décès de son fils lui était accordée. Elle portait le n° 704.385 et s'élevait à 8760 f. l'an. »

Maurice Vandeweyer
http://www.couvin-histoire.be/ViewArticle.php?ref=014A00011

En 2008, pour Maurice Vandeweyer, l’histoire s’arrêtait là.
14 mai 2011, lors d’une rencontre organisée par le Comité d’Histoire Régionale, visite au cimetière de Vézelise. Occasion de rechercher la tombe d’Alcide Guibert. Soulagement la tombe est toujours là et entretenue.  Sur la croix, une cocarde aux couleurs nationales belges, et une plaque.
Surprise à la lecture de la plaque, celle-ci porte deux noms : Robert DION et Jean(*)  GUIBERT.
Ainsi donc, 70 ans après les faits, cette petite plaque apposée sur la croix, confirmait que le fils de Léon DION était bien tombé aux cotés d’Alcide GUIBERT à Vézelise le 18 juin 1940. Ce que Léon DION ignorait toujours le 4 avril 1941, quand il écrivait au père d’Alcide.
Depuis janvier 1942, les deux hommes reposent désormais dans la même tombe dans le cimetière communal.
Le soir même les photos étaient envoyées à Maurice Vandeweyer pour l’informer de la découverte, et qu’il puisse compléter son histoire.
 (*) Alcide était officiellement appelé Jean-Alcide

Extrait du registre des décès de la commune de Vézelise pour l’année 1940
     


14 mai 2011, la tombe dans le cimetière de Vézelise


Depuis janvier 1942, Robert DION (dont le père ignorait toujours le décès le 4 avril 1941)
et Alcide GUIBERT reposent dans la même tombe dans le cimetière de Vézelise.