Les
anecdotes de Marguerite Ropers
Il m’est revenu à la mémoire 2 histoires qui m’ont fait comprendre bien des aspects réels de cette guerre. Je vais essayer de vous les évoquer brièvement.
Au printemps 44, eut lieu l’exécution des Cheminots dont Gabriel Mouilleron. Il habitait au 27 de la rue Sigisbert Adam, et moi, au 31.Donc la nuit de la fusillade, j’ai pu me glisser chez eux La scène était hallucinante, une petite pièce sombre, éclairée par une suspension électrique bien faible sous laquelle sa Femme, sur une chaise devant la table, se balançait d’avant en arrière, en sanglotant, poussant des hurlements, se déchirant le cou avec ses mains, les yeux fermés …et quelques personnes figées autour dans la mi-ombre.
Tout
à coup, les yeux s’accoutumant au manque de lumière, j’ai
aperçu, assis à coté de la fenêtre sur un canapé, un homme à
peine visible, prostré, la tête entre les mains, donnant une
impression de grand désespoir et isolé.Le
lendemain, j’appris que c’était « l’Avocat
allemand » qui avait essayé de le défendre.Il
s’était mis en civil, était venu dans la nuit noire pour
rejoindre la veillée dramatique.Je
ne dirai rien sur l’avocat « français » qui avait
défendu les autres et ne s’était en rien dérangé.C’est
une de mes amies qui avait été soutenir les familles Jacqueline
Brueder - une Vosgienne étudiante à Nancy, et après, cette nuit,
fort souffrante de tout ce qu’elle avait vu.
On
doit pouvoir retrouver les noms de l’Allemand qui, je crois, était
le seul à participer et du Français qui avait défendu les autres
cheminots !
2ème
anecdote se passant, il me semble, en août 42, dans un train allant
à Paris, où je me trouvais avec 2 prisonniers français évadés
(habillement et réflexions ne pouvaient le faire ignorer) Ils se
croyaient en sûreté, ignorant « la Zone dite Interdite »
d’où leurs imprudences !
Après
à la frontière sur la Meuse, à Revigny, un arrêt au moins de
toute l’après-midi, on nous fit remonter dans le train archibondé
Certains wagons étaient divisés en deux , une partie
pour les Français, l’autre pour les Officiers Allemands.
Avec
mes deux zèbres, je me trouvais à la limite territoriale de
séparation, pressés par une foule furieuse.
Du
coté allemand, un officier, fort gradé, fort grand, et fort beau et
tout seul, regardait le paysage debout à l’autre bout du couloir
du wagon.
Soudain,
il regarda du coté de la foule compressée, et me fit signe de le
rejoindre et là, bêtement mais instinctivement, je lui montrai mes
deux compagnons, il haussa légèrement les épaules et répéta son
signe.
Alors,
avec eux, je le rejoignis, il nous fit entrer dans son compartiment
s’assit en face de nous, sans rien dire et nous regardait. J’étais
en face de lui, entre les deux hommes et le silence dura,
dura !
La
nuit vint, le train allait très lentement, l’officier se leva,
ferma la lumière, ne laissant qu’une toute petite veilleuse et
tira les petits rideaux du couloir, s’assura que la porte était
bien verrouillée et s’assit le silence continua, il faisait
semblant de dormir, mais en fait, nous observait, mes voisins étaient
endormis et je le regardais aussi, à la fois tétanisée et en même
temps pas vraiment inquiète.
Cela
dura plusieurs heures, le train ralentit et s’arrêta, on cria
« achtung, Chalons sur Marne » Alors l’officier se leva
doucement, entrouvrit à peine la porte du couloir, se fit tout mince
pour se glisser dehors et referma soigneusement
l’entrebâillement et disparut, toujours silencieux.
Je
compris peu à peu qu’il nous avait tout bonnement sauvés la vie.
Dans ce compartiment réservé aux Officiers Allemands, pas de
contrôle dans le train à craindre.
Et
je commençai à mieux discerner le vrai de cette guerre !
(Pour vous faire rire ! Les deux évadé finirent par se réveiller ne comprenant rien à la situation, mais tout farauds d’être seuls avec une jeune fille, voulurent me persuader de leur « intérêt » et le tout se continua presqu’à Paris par un pugilat entre eux, chacun croyant que c’était la présence de l’autre qui m’empêchait d’être sensible à son charme, dont chacun ne doutait manifestement pas !!!)
A bientôt, je vous embrasse Margot
Petit rappel :
"En
Lorraine interdite" de
Marguerite ROPERS
"Souvenirs
de guerre" de Marguerite ROPERS,
Ancienne Résistante au sein du Mouvement « Lorraine ».
Editions « La Bruyère », octobre 2009, 334 pages, prix public 18 €
Un
temps étrange ? Sans nul doute, en Lorraine, celui de l'Occupation
et de la Résistance le fut... Les Lorrains se retrouvèrent
prisonniers dans leur Zone dite Interdite (défense d'y entrer,
défense d'en sortir) et découvrirent avec effroi que plus rien
autour d'eux n'était comme avant... Alors, peu à peu, certains -
tels ceux de Lorraine, un Mouvement de Résistance - et parmi eux,
celle dont le pseudo était "Margot" ou "La Petite",
de s'activer en des tâches illicites : faux papiers, journaux
clandestins, maquis à soutenir- des maquis où, à côté des
Français, se trouvaient Yougoslaves, Polonais, Russes, Autrichiens,
préfigurant sans le savoir l'Europe future. Dans ces luttes, les
étrangetés donc ne manquaient pas! Ainsi, quelle joie insolite de
se jouer de la toute puissante Gestapo grâce à une vieille
bicyclette toute déglinguée !... Ces longues pérégrinations
vélocipédiques, durant l'été et l'automne 44, étaient menées
sur les demandes du service d'espionnage de l'armée américaine du
Général Patton ; celui-ci, qui disposait de techniques
ultra-modernes, ne dédaignait cependant pas de recourir aux
renseignements glanés dans les Lignes ennemies par une jeune fille à
l'air innocent.
Récit ! Témoignage ! Document sur une
période lointaine? Peu importe, mais il faut se souvenir que tout
cela, vu au raz du guidon et des lunettes d'une fille de 20 ans,
l'était d'une façon fragmentaire sans doute, mais aussi, comme il
sied à cet âge, le plus souvent, fort iconoclaste.