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Disparition d'Alain SURDEL
C’est avec beaucoup de tristesse que nous apprenons aujourd’hui la disparition d’Alain Surdel.
Alain avait été
professeur de lettres à l’Université de Nancy. Collègue et ami de Roger
Viry-Babel, il s’était manifesté en 2004 lors de la préparation des
manifestations organisées pour commémorer le 60ème anniversaire de la
Libération.
Découvrant les
recherches engagées, après la visite de Jim Sudmeier (voir ci-dessous),
sur l’histoire des hommes du 761st Tank Battalion en Lorraine, il
s’était passionné pour le sujet, et avait proposé d’écrire un article pour le journal de l’association.
Il n’avait mis
qu’une condition, « tu me laisses traduire à la lettre le texte du
discours de Patton lorsqu’il vint à Saint-Nicolas pour accueillir les
tankistes noirs. Et défense de l’édulcorer lors de sa publication… »
« Pas de problème Alain, bien au contraire… ».
Alain avait été membre de l’association jusqu’à ce que des soucis de santé ne l’oblige à réduire ses activités.
A sa famille, nous présentons nos plus sincères condoléances.
Article d'Alain Surdel
LE 761st TANK BATTALION DE L’ARMEE PATTON.
Saint-Nicolas-de-Port
28 octobre-8 novembre 1944.
This is war ! You hear me, boy ?[1] Général George S. Patton.
Le 28 octobre 1944, le 761ème Bataillon de chars de la IIIème Armée
américaine vient cantonner à Saint-Nicolas-de-Port. Débarqué
d’Angleterre à Omaha Beach, le 9 octobre, il a traversé la France du 22
au 28 octobre 1944, sous les insignes de la 26th Infantry Division (
The Yankee Division) commandée par le Major Général Willard S.
Paul qui vient l’accueillir en ces termes le 31 octobre :
« Je suis drôlement content de vous compter parmi nous. On vous
attendait depuis longtemps et je suis sûr que vous allez vous bien
conduire. J’ai repéré une grande colline par là, je veux que vous la
preniez d’assaut : vous vous y couvrirez de gloire ! »
Les généraux, nous le savons en France depuis Napoléon, ne sont jamais
avares de proclamations roboratives censées élever le moral des
troupes. Ils choisissent d’ordinaire des circonstances critiques ou
solennelles. Ici rien de semblable. Le 761ème est de formation très
récente, il vient d’arriver en France. Il n’a donc aucun état de
services et personne ne sait quoi que ce soit de sa valeur au combat.
Apparemment, rien ne justifie l’accueil qu’il vient de recevoir.
Pourtant, cette unité flambant neuve a déjà une histoire : c’est le
premier bataillon blindé de l’Armée américaine uniquement composé de
soldats noirs[2].
LA CREATION DU 761st TANK BATTALION.
La création de cette unité s’inscrit dans une polémique nationale sur
la valeur au combat des soldats noirs qui agita la société américaine
durant toute l’année 1941. L’Amérique blanche des années 30 et 40 ne
faisait pas la part belle à ses citoyens noirs. Certains états ne leur
reconnaissaient pas tous les droits civiques. On les considérait comme
des Américains de seconde zone qui n’accédaient pas à une éducation de
qualité et, pour dire le moins, on les excluait souvent des
emplois qualifiés et bien payés. Il en était de même dans l’Armée
qui pratiquait une ségrégation sévère. Les soldats noirs étaient exclus
des unités de combat mécanisées et on les retrouvait souvent dans les
services de nettoyage et de logistique. Beaucoup d’Américains
protestaient contre cet état de choses. Le Président Roosevelt et sa
femme Eleanore étaient pour l’égalité des droits. L’administration
démocrate sentait également que l’Armée aurait bientôt besoin de toutes
les ressources humaines des Etats-Unis. « Arsenal des démocraties »
depuis 1940, l’Amérique entre en guerre le 8 décembre 1941, après
l’attaque de Pearl Harbor. Des marins noirs se sont illustrés pendant
le bombardement japonais et de nombreux volontaires noirs se pressent
aux portes des bureaux de recrutement. Ils combattent pour avoir le
droit de combattre. L’Etat-Major cède enfin et c’est dans ces
circonstances que fut créé le 761ème Bataillon. Ce ne fut pas sans mal
car les préjugés étaient tenaces et virulents. Les soldats de l’unité
eurent deux fois à prouver leur valeur : comme Noirs et comme soldats.
Le 7 septembre 1944, ce sont des hommes sur-entraînés qui s’embarquent
pour l’Angleterre où ils reçoivent leurs équipements et
matériels le 7 octobre, avant de partir pour la France depuis le
port de Weimouth. Ils n’ont pas encore affronté l’ennemi, mais ils ont
déjà une réputation. Le commandant de la IIIème Armée, le général
George S. Patton la connaît, comme en témoigne le vigoureux discours
qu’il tient aux hommes du bataillon, lors de sa visite à
Saint-Nicolas-de-Port du 2 novembre 1944 :
« Soldats ! Vous êtes les premiers tankistes noirs à combattre
dans l’Armée Américaine. Je ne vous aurai jamais demandés si vous
n’étiez pas des bons ! Dans le IIIème Armée, il n’y a que les meilleurs
! Je me ficherai de votre couleur de peau aussi longtemps que vous
avancerez et que vous liquiderez ces salauds de Boches. Les gens de
votre race comptent sur vous. Ne les décevez pas et, nom de Dieu, ne me
décevez pas ! En face, ils disent qu’il est glorieux de mourir pour sa
patrie. Tâchons de voir combien de ces putains de Boches seront
transformés en. . . « patriotes »
Patton
croyait compenser une taille médiocre et une voix grêle en parlant
gras, mais son discours avait été très clair. En dépit de ses
réticences personnelles, il acceptait les tankistes noirs dont il
connaissait la valeur théorique[3]. C’est
dans ces circonstances extraordinaires que le 761st Tank
Battalion entre en guerre, le matin du 8 novembre 1944. L’unité
compte 36 officiers et 593 hommes. Elle comporte :
- 3 compagnies, A, B, C équipées de Sherman medium tanks.
- Une compagnie, D, équipée de chars légers M5,
- Une compagnie d’entretien, de service, d’approvisionnement et de
soins médicaux.
-
Une compagnie de commandement à laquelle sont rattachés un peloton
d’obusiers auto-moteur de 105 mm, un peloton de mortiers de 81 mm et un
peloton de reconnaissance.
Le char Sherman n’a pas que des qualités. Pourvu d’un moteur à essence,
il est vulnérable au feu et son canon a du mal à percer les blindages
des chars Tigre et Panther des Allemands dont les moteurs diesel
sont moins facilement incendiables et qui sont équipés du terrible
canon de 88 mm. Les Américains sont protégés par les avions chasseurs
de chars Thunderbolt. Ajoutons que les Sherman détruits sont rapidement
remplacés : leur nombre submergera les Panzer.
LES COMBATS DU 761st TANK BATTALION.
Quand il quitte Saint-Nicolas-de-Port au matin du 8 novembre 1944, le
761st Battalion se dirige vers Moyenvic et Vic-sur-Seille. Jusqu’au 24
décembre 1944, dans des conditions météorologiques très difficiles, il
va combattre les Allemands et libérer Dieuze, Munster, Sarre-Union,
Sarralbe et de nombreux villages. A mesure qu’il se rapproche de la
frontière, la résistance ennemie devient frénétique et les Sherman
doivent s’attaquer aux ouvrages de la ligne Maginot qui a été rééquipés
par la Wehrmacht. Les pertes sont lourdes : durant le mois de novembre
1944, le 761st Batt. compte 26 morts, 81 blessés, 44 malades ou
accidentés, 14 chars ont été détruits et 20 endommagés.
Le pire est encore à venir. Le 16 décembre 1944, profitant du mauvais
temps qui cloue l’aviation américaine au sol, la contre-offensive de
von Rundstedt bouscule l’armée américaine dans les Ardennes belges, non
loin du noeud de communications de Bastogne. Les divisions d’infanterie
plient sous les coups de boutoir des SS Panzerdivisionen et le Haut
Commandement parvient tout juste à endiguer la ruée allemande à l’aide
des divisions aéroportées qui résistent autour de ce que les Américains
appelleront The Bulge (Le Saillant) de Bastogne. Il s’agit des 17ème,
82ème et 101ème Airborne Divisions. Le 761st Batt. qui opère dans la
région de Sarrebruck et de Deux-Ponts reçoit l’ordre de partir pour les
Ardennes avec de nombreux éléments de la IIIème Armée de Patton.
A partir de début janvier 1945, les tankistes vont combattre aux côtés
des paras de la 17ème Airborne Division. Les Sherman couperont les
voies d’approvisionnement des Allemands et contribueront ainsi à
l’échec de la dernière offensive de Hitler.
Le 18 février 1945, le 761st Batt. opère en Allemagne après avoir percé
la ligne Siegfried à la hauteur de Dusseldorf. Il est désormais
rattaché à la 71st Infantry Division sous les ordres du général Willard
G. Wyman. Les tankistes entrent le 30 mars à Oppenheim, au sud de
Francfort-sur-le Main. Puis ils se dirigent vers la Bavière en
investissant successivement Fulda, Coburg et Bayreuth. Ils traversent
le Danube à Ratisbonne et leur chevauchée victorieuse se terminera en
Autriche, à Steyr, le 6 mai 1945. Entre temps, le 761st. Batt. a
découvert l’horreur des camps de concentration nazis en libérant les
camps autrichiens de Lambach et Gunskirchen qui étaient des commandos
du sinistre camp. de Mathausen. Le 8 mai 1945, les tankistes
comptaient 183 jours de combat et le général Wyman leur adresse une
lettre officielle d’éloge ( Letter of commendation) où il reconnaît et
salue l’héroïsme des tankistes noirs :
« . . . les
missions de combat qui ont été confiées à votre unité ont été
accomplies avec panache. Elles ont facilité l’avance rapide de toute la
division et vous partagez avec nous le mérite de notre progression
rapide à travers l’Allemagne et l’Autriche. . . »
Bien que parfois décorés au gré des circonstances, les tankistes, comme
tous les autres combattants noirs (1200000 hommes) attendront longtemps
les marques de la reconnaissance de la Nation[4].
En 1978, le Président Carter accorde enfin au 761st Tank Battalion la
Presidential Unit Citation. En 1997, un des héros du 761 st Batt. est
enterré au cimetière national d’Arlington, à Washington et le Président
Clinton accorde la Médaille d’Honneur du Congrès à cinq autres soldats
de l’unité blindée, souvent à titre posthume[5].
Telle est, très résumée, l’histoire de l’unité qui cantonna à
Saint-Nicolas-de-Port du 28 octobre au 8 novembre 1944. La Lorraine ne
doit pas oublier les tankistes noirs du 761st Batt. Comme le reste de
l’Armée Patton, ils ont été les artisans de notre libération et nous
leur devons beaucoup.
Alain-Julien SURDEL.
[1] C’est la guerre ! T’as compris, mon gars ? Le général Patton à un mitrailleur du 761st T. Batt.
[2] L’hypocrisie
politiquement correcte voudrait que l’on parlât d’Afro-Américains. Nous
respectons beaucoup ces soldats et nous préférons parler en
termes d’époque de noirs et de blancs : ces deux adjectifs
posent le problème d’eux-mêmes.
[3]
Patton reconnaîtra pleinement les mérites du 761st Batt en 1945 : « Le
bataillon blindé noir attaché à mon commandement a vaillamment combattu
à Bastogne. Les soldats noirs sont de sacrés bons soldats et la Nation
peut être fière d’eux ».
[4]
L’insigne du 761st Batt. comportait une panthère noire. Ce symbole se
retrouvera dans la lutte des Noirs américains pour leurs droits
civiques. Est-ce un hasard ?
[5] Le
761st Batt. quitte l’Allemagne le 1er juin 1947. Le 24 novembre 1947,
il devient bataillon d’entraînement à Fort Knox (Kentucky). Il
est désormais équipé de chars Pershing. Il sera définitivement dissous
le 15 mars 1955. Les Vétérans de l’unité, groupés en association ont
beaucoup fait pour la reconnaissance des mérites individuels et
collectifs du 761st Tank Battalion.
Mai 2004
Sur la piste du 761st « Black Panther »Tank Battalion
10 mai 2004, l’expo de
Fléville est à peine démontée qu’arrive à Nancy Jim Sudmeier. Jim est
un universitaire américain, dont la fille est installée en France, et
réside à proximité d’Avignon.
Jim qui lui, habite à
Boston, est un passionné d’histoire, et en particulier de la Seconde
Guerre Mondiale. A ce titre, il a noué de nombreux contacts aux Etats
Unis avec des Vétérans ayant participé à la Campagne de Lorraine. Jim
profite de ses voyages en Europe, lorsqu’il rend visite à sa fille,
pour faire des recherches pour ses correspondants américains.
Cette année, c’est à la
demande de Joe Wilson Jr. que Jim souhaitait se rendre sur les traces
du 761st Tank Battalion. Joe est l’auteur d’un ouvrage consacré à
l’histoire du 761st Tank Bn, la première unité blindée noire engagée au
combat durant la Seconde Guerre Mondiale. Le père de Joe, Joseph E.
Wilson Sr., servit dans cette unité. Intégré dans la 3rd Army de
Patton, le 761st Tank Bn débarque à Omaha Beach à la mi-octobre 1944.
Il est affecté à la 26th Infantry Division. Le 28 octobre 1944, il
arrive à Saint Nicolas de Port, où il va stationner quelques jours.
Le 2 novembre 1944, à
Saint Nicolas, c’est Patton en personne qui vient lui souhaiter la
bienvenue « Messieurs, vous êtes les premiers tankistes noirs à vous
battre dans l’armée américaine. Je n’aurais jamais demandé à vous avoir
avec moi si vous n’étiez pas des bons. Je n’ai rien d’autre que le
meilleur dans mon Armée. Je me moquerai de la couleur de votre peau
aussi longtemps que vous vous battrez, et que vous battrez ces damnés
allemands. Tout le monde a les yeux fixés sur vous, et attend de
grandes choses de vous. Et plus que les autres, ceux de votre race
attendent votre succès. Alors, ne les décevez pas, et bon sang, ne me
décevez pas!…. »
Lorsque s’achève la «
pause » d’octobre, et que Patton se prépare à reprendre l’offensive, le
761st Tank Bn rejoint Athienville, où il se met en ordre de marche. Le
8 novembre, à 6h00 du matin, il reçoit l’ordre de départ, et fonce en
direction de Bezange la Grande et Bezange la Petite, où il reçoit son
baptême du feu, et subit ses premières pertes. La compagnie Charly qui
engage 12 chars en perd 3 lors de furieux combats pour prendre la côte
253. Le 9, le bataillon libère Morville les Vic, et le 10, il prend
d’assaut la côte 309. En trois jours, 16 tankistes noirs sont tués en
terre Lorraine.
C’est le début d’une campagne au cours de laquelle, le bataillon combattra sans interruption durant 183 jours.
Jim Sudmeier souhaitait
rapporter à Joe Wilson quelques photos, et des films du secteur où le
761st Tank Bn. subit son baptême du feu. Joe envisagerait en effet de
venir prochainement en Lorraine avec plusieurs Vétérans du bataillon.
Jim a récemment mis en ligne les vidéos filmées lors de sa visite en 2004 :
Lorraine, France battlefields
Lorraine, France battlefields. Part 2.
La visite de Joe WILSON Jr annulée compte tenu de l’épidémie du coronavirus
Joe Wilson, est le fils de Joseph E. Wilson Sr l’un des tankistes du 761st Tank Battalion.
Désireux de rendre
hommage à son père, il est le premier à avoir écrit un livre sur cette
unité, la première unité blindée noire combattante de l’armée
américaine. Il est à l’origine de la première rencontre avec Jim
Sudmeier, et des recherches qui ont suivi. Il est également à l’origine
d’un documentaire américain relatant l’épopée du 761st. Le succès
de son premier livre, l’a conduit a écrire deux autres ouvrages
consacrés aux deux autres unités de tankistes noirs de l’armée US
durant la Seconde Guerre mondiale.
Joe était revenu l’année
dernière pour inaugurer une stèle à Morville-les-Vic, et devait revenir
en Europe au mois de mars. Il avait annoncé son arrivée pour le 21 mars…
Le 12 mars, Joe envoyait un nouveau message annonçant l’annulation de son voyage comte tenu de l’épidémie de coronavirus.
Il espère bien revenir plus tard.
A VOIR AUSSI SUR LE SITE DE L’ASSOCIATION LE DOSSIER CONSACRE AU 761st TANK BATTALION
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