Journal de Lunéville
Vendredi 16 février 1945
La libération de Blâmont
Exigences et exactions nazies
Le bombardement - Un sauvetage tragique. On
sait que la ville de Blâmont, chef-lieu d'un important canton agricole
aujourd'hui à peu près complètement anéanti, a été en partie détruite
en novembre dernier (1944).
C'est le 1er septembre que commença pour la coquette cité blâmontaise,
qui avait déjà bien souffert en juin 1940, une des périodes les plus
tragiques de son histoire.
Dès cette date, les troupes allemandes se repliant passent ou
stationnent à Blâmont ; jour et nuit elles réclamaient des
cantonnements. Plusieurs unités manquent de ravitaillement ; elles
réquisitionnent irrégulièrement des bêtes, commettent de nombreux vols
de volailles, lapins et denrées de toutes sortes. Des isolés s'emparent
de vélos, de camions, camionnettes et chevaux.
Vers le 5 septembre, arrive à Blâmont un groupe de 1800 jeunes gens des
[jeunesses hitlériennes], commandés par les membres du Parti. En
quelques heures, les vergers et les jardins sont pillés. L'état
d'esprit de cette formation est déplorable : ce ne sont que menaces et
injures à l'égard de la population. Les réquisitions irrégulières se
multiplient.
Le 12 septembre, les membres du Parti s'emparent d'un certain nombre de
voitures automobiles et quittent Blâmont avec leur formation laissant
les cantonnements dans un état de délabrement impossible à décrire.
Le même jour, la kommandantur donne à Me Jean Crouzier, maire de
Blâmont, l'ordre écrit de faire amener tous les vélos disponibles,
spécifiant « qu'il s'agit d'un emprunt et que les bicyclettes
seront restituées à leur propriétaire ». Bien entendu, le jour
même, tous les vélos quittaient Blâmont définitivement.
Le 13 septembre, une unité de la Gestapo intime au Maire l'ordre de
faire déposer immédiatement à la Mairie tous les postes de T.S.F. des
particuliers. Pendant 6 semaines, ce sera un véritable pillage de ces
postes par les troupes de passage ou qui stationnent dans les environs.
Du début d'Octobre au 13 novembre, 1500 travailleurs civils allemands
ou alsaciens, commandés par des membres du Parti, cantonnent à Blâmont,
où ils exécutent divers travaux de défense.
Dès le début de septembre, une vingtaine de membres de la Gestapo et
quelques miliciens s'installent à Blâmont. Le 6 octobre, ils arrêtent
M. Alphonse Parmentier, interprète à la Mairie, et le 10 octobre, le
maréchal des logis chef de gendarmerie Coupaye. Le corps de ce dernier
a été retrouvé peu après la libération, dans une forêt près de Cirey ;
il a été inhumé à Blâmont le 25 novembre. M. Coupaye avait été tué
d'une balle dans l'œil. Le 12 octobre, la Gestapo arrête M. Christian
Zeliker et Mme Veuve Beckrich qu'elle relâchait d'ailleurs quelques
jours plus tard, et M. Raymond André, électricien, dont on est toujours
sans nouvelles. Courant octobre, un habitant de Blâmont a assisté
depuis sa maison située en dehors de la ville, à l'exécution sommaire
et à l'inhumation de une ou deux personnes dont les corps n'ont pu
encore être exhumés, les travaux de déminage à Blâmont n'étant pas
terminés.
Le 8 septembre le maire recevait l'ordre des Allemands de lettre à leur
disposition pour effectuer des travaux de retranchement, toute la main
d'œuvre masculine et féminine disponible à Blâmont. Comme on le
conçoit, cette mesure est difficilement mise en application, et à
plusieurs reprises, le Maire est menacé d'arrestation et de renvoi
devant un Conseil de guerre, pour sabotage.
Le 6 novembre, un recensement serré de tous les hommes de 16 à 65 ans
est fait par les Allemands avec ordre de départ en direction de Cirey,
pour le lendemain matin. Il s'agissait là sans doute d'une véritable
déportation des hommes en Allemagne. Heureusement, dans le courant de
la nuit, la mesure envisagée fut ajournée.
En raison de la situation et de la proximité du front, le Maire de
Blâmont avait fait procéder au début du mois de septembre, au
recensement des caves et abris de la ville, et il s'était assuré que
toute la population pouvait y trouver refuge. Un état nominatif des
personnes fut établi pour chaque cave ;
Le 13 octobre, à 2 heures du matin, une cinquantaine d'obus tombe sur
Blâmont et les environs ; un mort et trois blessés dont deux devaient
succomber peu après, sont à déplorer.
Le 15 octobre, la ville qui, depuis plus d'un mois est privée
d'électricité, ne reçoit plus d'eau de la montagne, par suite de la
rupture de la conduite principale entre Frémonville et Cirey. Les
fontaines publiques, alimentées par la source de Repaix, permettent
toutefois à la population de recevoir de l'eau. La conduite d'eau
endommagée peut d'ailleurs être réparée quelques jours plus tard.
Dans la nuit du 14 au 15, un violent incendie, provoqué par une
imprudence ou la malveillance des troupes allemandes, menace, en raison
d'un vent violent, d'anéantir la rue de Domêvre. Grâce à une rapide et
efficace intervention de la Compagnie des sapeurs-pompiers, le sinistre
peut être circonscrit, et deux maisons seulement sont détruites.
Le 16, le 18 et le 21 octobre, quelques obus tombent aux sorties sud et
ouest de Blâmont. Le 23, dans la nuit, l'église est touchée.
Depuis plusieurs jours, me Maire de Blâmont avait engagé des
pourparlers avec son collègue de Cirey, en vue d'obtenir que le courant
électrique fourni par la scierie Boura puisse alimenter la ville. Un
premier essai fait le 27 octobre donne des résultats médiocres. Pendant
plusieurs jours cependant quelques quartiers de Blâmont reçoivent du
courant de Cirey.
A partir du 29 octobre, de nombreux réfugiés de diverses communes du
canton, évacués par les Allemands passent ou s'installent à Blâmont, ce
qui complique singulièrement le problème du logement et du
ravitaillement. C'est ainsi que la ville passe en quelques jours, de
1.700 à 2.600 habitants.
Le 1er et le 8 novembre, la partie sud de la ville est bombardée. Le clocher de l'église est sérieusement endommagé.
C'est le 12 à 18 heures que commence le véritable bombardement de
Blâmont. Il devait durer jusqu'au 18, à midi, sans interruption, sauf
quelques accalmies pendant la journée, détruisant ou endommageant
sérieusement 95% des immeubles, causant la mort de 16 personnes, en
blessant une vingtaine d'autres.
Les premiers projectiles détruisent en partie l'Hôpital-Hospice,
blessant légèrement 4 personne. Le Maire fait immédiatement descendre
dans les caves ceux des pensionnaires et hospitalisés qui, en raison de
leur état de santé ou de leur désir exprès, étaient demeurés dans leur
chambre. Cette mesure, exécutée aussitôt, a permis d'éviter d'autres
accidents à l'Hôpital, qui reçut par la suite une trentaine d'obus.
L'Hôpital de Blâmont qui est tout à fait inutilisable a été évacué à
Nancy par des camions américains, après la libération.
A
onze heures du soir, on apprend que la Pouponnière est en feu. Le Maire
qui est sur les lieux avec 5 ou 6 personnes dévouées, se rend compte
que le bâtiment ne peut plus être préservé. Les 110 enfants de
l'Etablissement se trouvent déjà dans les sous sols de la Maison
Maternelle, immeuble qui communique par un passage souterrain avec la
Pouponnière. En raison de la menace d'incendie de la Maison Maternelle,
de la destruction partielle de celle-ci par le tir de l'artillerie et
aussi du danger d'asphyxie des enfants, Me Jean Crouzier ordonne
l'évacuation immédiate de ceux-ci dans les caves de plusieurs maisons
particulières. La porte de la Maison Maternelle étant inaccessible,
c'est par un soupirail que les sauveteurs réussissent à sortir les
enfants. Les flammèches sont tellement nombreuses, et le vent tellement
violent, que les maillots de plusieurs enfants commencent à prendre
feu. C'est un spectacle véritablement hallucinant, d'autant plus que le
bombardement ne cesse pas. Enfin, après une heure d'efforts, les
enfants ainsi que le personnel de la Pouponnière sont en lieu sûr. Il y
a lieu d'ajouter que, jusqu'à l'évacuation de la Maison Maternelle le
22 novembre, aucun décès n'a été enregistré parmi les enfants de
l'Etablissement.
La même nuit, à 5 heures du matin, les vastes bâtiments de
l'Association Bon Accueil sont à leur tour la proie des flammes.
Quelques sapeurs-pompiers et des volontaires réussissent à préserver
les maisons voisines.
De nouveaux incendies moins importants de déclarent, le 14 rue des Capucins, et le 16 Grande-Rue.
Dans la nuit du 15 au 16, un obus traverse une voûte et éclate dans la
cave de la maison Cascailh. Le Maire fait appeler les deux médecins, le
chef des équipes d'urgence de la Croix Rouge, et se rend avec eux et
quelques personnes qui veulent bien sortir des caves, au lieu de
l'accident. Neuf morts et une douzaine de blessés dont un devait
succomber le lendemain sont dénombrés. Etant donné la persistance du
bombardement, l'inhumation des corps a lieu dans une trachée abri
creusée à proximité, et les blessés sont transportés dans les sous-sols
encore intacts de la Maison Maternelle.
Le 17 novembre à 7 heures du matin, le Maire reçoit la visite de deux
feldgendarmes qui lui donnent l'ordre de faire évacuer la ville sur
Sarrebourg, le soir même à 18 heures. Après avoir consulté les membres
de la Commission Exécutive et ceux du Conseil municipal, Me Crouzier
expose aux Allemands l'impossibilité d'évacuer la population en raison
du bombardement violent auquel la ville est soumise, et de la présence
des malades et vieillards de l'Hôpital-Hospice et des 110 enfants de la
Pouponnière. Il rédige immédiatement un rapport dans ce sens et le
remet aux Allemands qui paraissent s'en contenter.
Le même soir, à 21 heures, deux nouveaux feldgendarmes viennent trouver
le Maire et lui remettent un nouvel ordre d'évacuation de la ville pour
le lendemain à 18 heures, à l'exception de l'Hôpital et de la
Pouponnière. Me Jean Crouzier se rend aussitôt dans la cave qu'occupe
l'officier allemand commandant le secteur pour lui exposer la situation
et essayer d'éviter une évacuation qui dans les circonstances présentes
lui apparaît être une véritable catastrophe. Après une heure d'attente,
le Maire est éconduit, mais on lui fixe un rendez-vous pour 11 heures
du soir. Il s'y rend avec M. Lucien Labourel, conseiller municipal,
mais ce n'est que le lendemain à 9 heures du matin qu'ils réussissent
tous les deux à être reçus. A 13 heures, les Allemands font savoir au
Maire que le Général accepte de laisser sur place la population de
Blâmont, à condition que le Maire signe une décharge de responsabilité.
Me Crouzier rédige et signe cette pièce sur le champ, pièce dont il n'a
jamais compris ni la signification ni l'utilité.
Le matin même un bombardement par avion ne fait que peu de dégâts et pas de victimes.
Le 18 à midi, Blâmont recevait ses derniers obus. Une demi-heure après,
les premiers soldats américains faisaient leur entrée dans la ville
complètement dévastée, mais heureuse d'être enfin délivrée.
Les ponts avaient sauté dans la nuit et les troupes allemandes s'étaient retirées aussitôt après.
A noter que pendant la semaine de bombardement, le ravitaillement en pain et en lait fut assuré tous les jours.
Voici en bref ce que fût pour Blâmont cette période dramatique, qui
laisse l'un des plus pittoresques chefs lieux de canton de
l'arrondissement de Lunéville terriblement mutilé, puisque le tableau
de ses destructions peut s'établir comme suit : maisons totalement
détruites : 25 % environ ; maisons endommagées : 75 % ; maisons
intactes : néant.
Depuis
la libération, bien du travail a été fait à Blâmont. Malgré les
difficultés de l'heure, et notamment la pénurie de tuiles, de vitres et
de matériaux de tous ordres, les toitures ont été provisoirement
consolidées et recouvertes, les fenêtres ont été revêtus de carton et
de carreaux, les décombres sont peu à peu enlevés, les maisons
irréparables sont déjà en cours de démolition, le service des eaux
fonctionne depuis plus d'un mois, et bientôt le courant électrique sera
rétabli. Mais les façades mutilées, les trous béants que laissent dans
la ville les immeubles et les quartiers détruits, sont là pour rappeler
au visiteur qu'il traverse une ville qui vient de vivre des heures
douloureuses.
Ajoutons que sous l'heureuse initiative de M. Rousselot, Délégué
Régional du Commissariat Régional à la Famille, la ville de Vézelise et
13 communes environnantes, décidaient dès le début de décembre dernier
(1944), de parrainer Blâmont. Depuis, une dizaine de camions d'articles
de ménages, de literie et de meubles, ainsi qu'une somme de près de
300.000 fr. ont été envoyés par Vézelise à son infortunée filleule.
Cette magnifique manifestation de solidarité mérite d'être soulignée.
Elle soulagera bien des misères et apportera à la malheureuse cité
blâmontaise un réconfort moral qui l'aidera à se relever de ses ruines.
SOURCE : http://www.blamont.info/textes1729.html
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